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Le repère des écrilibristes
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28 mars 2011

Cyber-partenaire

 

Il nous sera possible bientôt de posséder un robot intelligent conformé à la ressemblance parfaite de qui nous voudrons – cher disparu, célébrité vivante ou morte, enfant mignon du couple ami, etc. –, doté de sa voix et doué de repartie (mais nous pourrons bien sûr le programmer afin de l’entendre prononcer les mots que son modèle ne nous a jamais dit). Certes, ce substitut artificiel n’aura d’autre vie intérieure que le brassage combinatoire infini de ses données, mais en va-t-il si différemment de la nôtre ? Nous vieillirons à ses côtés et, quand nous mourrons, ce fidèle compagnon, plutôt que de se complaire dans le deuil et les larmes, s’autodétruira.

 

De cet aphorisme de Eric Chevillard m’est venu l’idée (saugrenue !) de m'en inspirer pour écrire une petite nouvelle, ou disons plus modestement “un bout de texte”. Que penseriez-vous d'essayer d'en faire autant.        B.ren@rd

                                                   -oOo-

Je ne tenais plus en place ; Lorsque le transporteur m’a déposé à la maison  je tremblais d’impatience. Elle était là. Enfin. De retour dans ma vie, comme si elle m’avait quitté hier ; Ou plutôt, comme si elle ne m’avait jamais quitté. Et vraiment ce fut comme un retour dans le passé, je la retrouvais telle que je l’avais connu à la veille de ses 50 ans. Le même regard noisette pailleté de miel, les mêmes boucles châtain tirant vers le roux, les mêmes petites rides de sourire aux coins des yeux et aux commissures des lèvres. Pour ce que je pouvais en juger à travers cette petite robe bustier ocre rouge pointillée d’un fin motif blanc, son corps était toujours celui d’une jeune femme de trente ans qui m’avait tant ému durant les trois années qu’avait duré notre relation. Tiens, au fait, c’est vrai qu’elle est en robe, j’en suis presque surpris, bien que j’en aie moi-même fait la demande sur le logiciel de spécifications que j’ai longuement complété avec l’ingénieur système. Ce n’était pas si souvent dans notre histoire passée qu’elle voulût mettre autre chose que des pantalons de toile. Une fois, en Bulgarie, elle accepta de se vêtir en fille pour me faire plaisir … un vent méchant et glacial lui fit se jurer qu’on ne l’y reprendrait plus. Ce souvenir m’amena un sourire qui eu le bon goût d’atténuer mon expression de stupide stupéfaction. Moi qui avais tant imaginé ces “retrouvailles” je restais bêtement muet, les mots coincés par l’émotion dans le parvis de ma gorge.

Ce fut elle qui prononça le premier mot – mon prénom – en ouvrant ses bras. Je me jetais dans cette étreinte comme un enlisé sur le bâton qui le sauve, et lâchais la bonde à mes larmes sur son épaule. Juste un mot et je retrouvais en bloc tous les gradients de cette voix suave et chaude chargée d’émotion et de simplicité. Je mis plusieurs heures à me faire à l’idée que ce miracle ait pu se réaliser. A tout point de vue le programmeur avait réussi un exploit

 

Les vingt-deux ans qui suivirent marquèrent sans aucun doute la meilleure période de ma vie. Je découvrais à son contact des aptitudes personnelles dont je ne me croyais vraiment pas capable. Particulièrement celle de renouer avec une vie de couple ; Le partage au quotidien des milles péripéties de la vie avec un autre être, toujours et heureusement différent, mais capable en permanence d’adapter son comportement à tous les besoins de changement, les évolutions qui sont le propre de l’humanité

Je m’étonnais d’abord, puis considérais comme l’évidence même du bonheur cette extraordinaire flexibilité de caractère dont je ne parvenais plus à distinguer si elle émanait d’une aptitude de l’esprit humain où simplement de la qualité du programme évolutif qui avait mission de régler ses réactions sur nos interactions. Notre vie sociale resta merveilleusement ouverte et le cercle de nos amis crût davantage en qualité qu’en quantité. Des sentiments aussi universels que l’envie, la concurrence ou la jalousie ne trouvaient aucune place dans cette nouvelle existence.

 

Hélas, aucun ciel ne reste éternellement bleu. Malgré ou peut-être, à cause de la longue période de félicité qui nous fut offerte, une fêlure commença à apparaître sur le vernis parfait de notre existence ; Jusqu’alors la santé m’avait fait la grâce d’une clémence totale.  Je ne craignait rien pour celle de ma cybercompagne qui m’avait été garantie à vie (la mienne s’entend). Et pourtant, il fallut bien me rendre à cette évidence : Elle subissait de plus en plus fréquemment des sortes de malaises qui la laissaient à chaque fois plus épuisée, plus pantelante. Mes contacts répétés avec la hot line de maintenance automatique m’assuraient qu’il s’agissait d’un processus normal et que je ne devais pas m’en inquiéter.

 

Pourtant, ce matin là, je sus intuitivement que quelque chose d’irrémédiable était en train de se produire. Toute couleur avait abandonné son doux visage. Son regard faisait comme deux lucioles vacillant dans un fond de cire. Ses mains serrées dans les miennes étaient glaciales et je ne parvenais pas à les réchauffer. Un filet de voix presque inaudible peinait à franchir ses lèvres.

J’approchais mon oreille et elle me chuchota alors : « Merci pour ce merveilleux quart de siècle que j’ai vécu avec toi – dont trois année avec ton original – Approche-toi encore mon amour, je ne veux pas que tu puisse me voir mourir. » Ce disant, elle attira mes lèvres sur les siennes en passant sa main derrière mon cou. Puis elle glissa un doigt sous le lobe de mon oreille gauche et exerça une pression brève et précise.

 

Je senti en mon crâne comme un déclic puis ma vision s’estompa dans un fondu au blanc. Le blanc s’assombrit en passant par toutes les nuances de gris jusqu’au noir absolu.

Une ouate de plus en plus épaisse sembla atténuer tous les sons, progressivement, jusqu’au silence.  Enfin, ce furent les souvenirs qui se succédèrent à vitesse exponentielle tout en s’éteignant l’un après l’autre dans une opacité de plus en plus transparente … jusqu’au néant.

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Commentaires
A
bravo Be.renard ! je serai bientôt de retour dans ma case du Puy. vivement pour reprendre les écrits et lire ta nouvelle... ciao, Andinaroulettes.
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